Une appropriation collective des réseaux de télécommunication

Présentée par Daniel Lemay

Heure : 15h10

Description de la conférence

Depuis maintenant plus d'un an, Île Sans Fil - un groupe communautaire à but non lucratif - s'est donné pour mission de fournir un accès à Internet sans fil public aux Montréalais. L'organisme entend aussi oeuvrer à la mise en place et au maintien d'un réseau métropolitain communautaire sans fil, en marge de l'internet, accessible par tous, gratuitement et de façon sécuritaire.

Les bénévoles d'Île Sans Fil croient que la technologie peut être utilisée dans le but d'amener les gens à entrer en contact entre eux et contribuer grandement à l'émergence de nouvelles communautés et au maintien d'une saine démocratie. Ainsi, Île Sans Fil entend utiliser ses points d'accès pour promouvoir l'interaction entre ses usagers, présenter des oeuvres artistiques originales utilisant des médiums inusités et enfin fournir de l'information qui soit pertinente localement.

Au cours de cet exposé qui débute par une brève présentation de Île Sans Fil et de ses principaux projets, on s'interroge sur les avantages, pour les citoyens, de pouvoir exercer un contrôle sur leurs réseaux de télécommunications. La convergence des technologies de télécommunications de voix et données bouleverse actuellement plusieurs industries traditionnellement florissantes. Quelle sera la nouvelle donne? Quels sont les enjeux pour les citoyens? Comment peut-on s'y préparer? De quels atouts bénéficions-nous? Il est hors de question de prétendre avoir des réponses à toutes ces questions, mais l'exercice de réflexion, lui, se doit d'être amorcé rapidement.

Verbatim de la présentation

Ce que je veux faire rapidement, c'est de vous présenter Île Sans Fil, parler aussi de l'industrie des télécommunications et voir ce qui est en mouvance et dans quelle mesure ça peut influencer ou informer sur les opportunités pour les citoyens. Mais il y a peut-être certaines préoccupations qu'on doit avoir. Naturellement je vais terminer par le sans fil et voir dans quelle mesure ça peut être une opportunité intéressante

Donc Île Sans Fil, c'est un organisme sans but lucratif qui existe depuis deux ans. Officiellement depuis un an mais deux ans depuis l'idée initiale de trois types qui se sont dit que ça serait bien si on permettait aux gens d'avoir accès Internet sans fil à Montréal. Il n'y avait de point d'accès alors qu'aux États-Unis il commençait à y en avoir beaucoup. C'est entièrement le travail de bénévoles, personne n'est payé à Île Sans Fil. On est une trentaine, un noyau dur de dix à quinze personnes et avec ce groupe-là, on est capable de rendre un service à environ 5000 personnes. Des gens qui utilisent Île Sans Fil sur une base plus ou moins régulière.

On a quoi comme mission ? Il y a plusieurs volets. D'abord ce qu'on veut c'est de créer des points d'accès un peu partout à Montréal dans les endroits publics. Dans les cafés c'est vrai mais aussi beaucoup dans les musées, on est dans des galeries d'art à certains endroits, des parcs aussi. C'est pas évident dans les parcs parce qu'un écran avec le soleil c'est pas fameux, mais il reste qu'on rend le service disponible dans les endroits publics. On a actuellement près de 40 points d'accès, en fait 35 en fonction. Il y a une liste d'attente actuellement. Ce qui fait d'Île Sans Fil un des plus grands fournisseurs d'accès sans fil au pays. Je suis assez fier de ça parce que le groupe a fait ça bénévolement et on fait concurrence à des gens qui ont de grosses structures, avec beaucoup d'employés, des gros salaires. On n'a pas besoin de ça nous. C'est une belle démonstration de ce que le milieu communautaire peut faire.

On a aussi comme mission de faire de la diffusion de matériel artistique. On ne veut pas être seulement un fournisseur de sans fil, ça nous intéresse plus ou moins cet aspect-là. Ça nous prenait un réseau, mais une fois qu'on a eu le réseau on s'est dit, qu'est-ce qu'on fait avec. Et on a eu l'idée de diffuser du matériel artistique localement, donc on va être capable de se présenter à un point d'accès, et il y aura un événement disponible localement. Ce qu'on veut faire en fait c'est inciter les gens à sortir de leur sous-sol, se ramasser dans les endroits publics et de commencer à se reparler. Non plus virtuellement par téléphone ou par Internet, mais que les gens se retrouvent face à face. Paradoxalement, on se sert d'Internet pour ramener les gens à se voir physiquement. On veut aussi implanter un réseau maillé métropolitain, on peut appeler ça un réseau sans fil communautaire. Et parallèlement ce qu'on veut faire c'est aider à supporter le monde communautaire avec ça.

Comment ça fonctionne très rapidement un point d'accès, c'est très très simple. Vous avez un petit router. Ce router-là qu'on achète pour environ 80$, on l'a modifié intérieurement, on a tout enlevé l'intelligence et on l'a remplacé. On a créé un produit qui s'appelle « WiFiDog », développé en « open source », et utilisé maintenant un peu partout dans le monde. Il y a des groupes qui commencent à l'utiliser un peu partout, ça devient très intéressant pour Île Sans Fil. On est allé faire une démonstration du produit à New York, Vancouver, on en parle maintenant un peu partout. L'idée c'est que dès que vous ouvrez votre ordinateur dans un point d'accès, on intercepte votre requête Internet. Donc la première fois que vous voulez aller naviguer sur Internet, on coupe l'accès et on vous présente une page d'accueil, et vous devez vous identifier. C'est pas nouveau, tous ceux qui sont dans la version commerciale du sans fil font ça aussi, mais eux font ça dans le but de vous facturer. Nous on veut juste vous identifier. Parce que notre objectif, c'est qu'éventuellement on veut vous fournir des services, et on veut aussi favoriser les échanges. Donc on pourrait, dans un café, avec plusieurs ordinateurs portables ouverts, favoriser les échanges, tu pourrais décider de publier ton profil d'intérêt, qui tu es ou tu pourrais décider d'organiser une rencontre, organiser des événements au sein d'un café ou inter-café avec différentes technologies de webdiffusion.

Maintenant je vais vous parler de l'industrie, de ce qui se passe dans l'industrie des télécommunications. Parce qu'on a parlé beaucoup d'accessibilité. Moi naturellement je vais vous parler beaucoup d'accessibilité au réseau. Qu'est-ce qui se trame actuellement ? Tous les grands réseaux sont en train de converger vers une même plateforme numérique. Je parle d'un réseau IP (Internet Protocol), le protocole qui est à la base d'Internet, tout se ramène à ce réseau-là. Quand je dis tout, on est en train de parler d'une disparition progressive de la téléphonie traditionnelle. Vous avez tous entendu parler de ce qui est fait chez Vidéotron actuellement sur la Rive-Sud. Il y a une offre de Bell. Toutes les compagnies de téléphone vont nous offrir maintenant un téléphone IP. Graduellement ce qu'on connaît, le bon vieux téléphone à roulettes, ça s'en va. Pas demain matin, mais graduellement c'est en train de disparaître pour être remplacé par la téléphonie IP. Un téléphone IP, ça peut être un téléphone ordinaire comme vous connaissez, mais ça peut être aussi un ordinateur, ça peut être un téléphone cellulaire IP, donc n'importe quel outil.

Actuellement, je sais pas si vous avez vu les annonces de Vidéotron, mais on a parlé du prix, on a dit ça coûte pas cher le téléphone IP. Mais ça c'est rien, on s'en vient avec des services. On va ajouter des services qui n'existent pas en téléphonie traditionnelle. Donc on va assister dans les prochaines années à une multiplication de produits et services de communication. Ça veut dire quoi pour les gens de cette industrie ? C'est qu'il y a une redistribution complète, un « mix-deal » dans l'industrie. Les leaders peuvent complètement changer. Ce qu'on demande comme consommateur va être radicalement différent. Tout est en train de changer dans le monde des télécommunications, il n'y aura plus rien de pareil. Et ça c'est pas dans cinq ans, on parle d'un maximum de trois ans. C'est vraiment une grande révolution.

Comme concept concurrentiel, ce que ça veut dire, on va se retrouver avec une multitude de fournisseurs de services à valeur ajoutée. Au lieu de juste vendre de la téléphonie ou de l'Internet, on ajoute un paquet d'autres choses. On va se retrouver dans un environnement très instable avec une volatilité de l'offre. C'est à dire que, une journée on a un fournisseur qui nous vend tel produit et boum ! Le lendemain il fait faillite. Un super gadget va sortir, on va dépenser le 200$ pour acheter l'équipement pour y accéder et six mois plus tard, il va fermer. C'est normal, c'est un marché en émergence. Il va y avoir une réduction importante des revenus pour les compagnies de télécommunication, et une réduction des coûts. Probablement des bénéfices aussi, et ça devrait se répercuter pour nous, consommateurs, avec une diminution importante des coûts. Mais globalement, c'est possible que ce qu'on alloue dans notre budget en télécommunications, ça risque d'au moins se maintenir. Mais on va probablement dépendre beaucoup plus, on va consommer beaucoup plus pour probablement le même prix, peut-être un peu moins. Mais il y a une tendance très nette à la baisse à ce niveau-là. Concurrence féroce. D'ailleurs, regardez la revue qu'on a dans le métro, faites une analyse de la publicité qu'il y a dedans. On parle de quoi ? Internet, téléphone, on ne parle que de ça. Ils payent la revue.

Donc on assiste dans ce milieu-là à une incertitude technologique au niveau des technologies d'accès. Actuellement on connaît l'ADSL, et on connaît le modem câble, et le modem traditionnel. Mais on va assister à la VDSL, qui est encore plus rapide comme bande passante, beaucoup plus large, qui va nous permettre d'envoyer de la télévision haute définition. Ça veut dire entre autres, la disparition probablement des satellites. Ça va maintenant passer par le fil téléphonique. Même chose pour le WiFi qu'on fait actuellement avec Île Sans Fil, arrive le WiMAX (c'est la même chose, mais pour les telco) ; on plante une antenne, et on couvre en campagne 50 km avec le signal à 50mb/seconde. Ça c'est une excellente nouvelle. Ça veut dire que dans les régions, enfin, on va l'avoir la très haute vitesse. Ce n'est plus un rêve, on s'en va vers ça. Encore là, ça existe aujourd'hui, ça peut prendre peut-être 3 ans à s'implanter. On va avoir une grande diversité d'outils de télécommunication, que ça soit un ordinateur ou n'importe quoi, on communique avec n'importe quel outil aujourd'hui. Important! Ouverts ou fermés nos systèmes d'opération ? Quand on va choisir nos téléphones de demain, quand on va choisir nos ordinateurs de demain, nos outils de communication de demain, il ne faut pas perdre de vue effectivement l'aspect « open source ».

Et on va assister à l'ascension provisoire d'une plateforme commune de téléphonie IP. C'est à dire que, aujourd'hui il y a une tendance téléphonique mondiale, mais en téléphonie IP, ça n'existe pas encore les standards. Il y a des grandes compagnies qui vont avoir un standard, mais il va y avoir une certaine adaptation de ce côté-là.

Il y a eu l'homo-érectus, mais là je pense qu'on peut parler maintenant d'homo-communicus. On tend à satisfaire d'abord nos besoins physiologiques, la bouffe et tout ça, après ça la sécurité et après ça appartenance et affection. Et c'est là-dedans qu'on va retrouver les besoins de communication et d'appartenance à un groupe. En plus de ça, quand on vend un téléphone cellulaire aujourd'hui, on le vend pour la sécurité. Graduellement nos besoins de télécommunication sont en train de devenir des besoins fondamentaux. Je pense qu'on est en train de développer une dépendance féroce face aux fournisseurs d'accès.

Animatrice
Il y a beaucoup de monde insécures dans la salle, il y a beaucoup de monde avec des portables !

Daniel Lemay
Donc, ce qui va arriver, c'est que demain, on va se retrouver avec des fournisseurs d'accès qui vont nous offrir tout : Téléphonie, Internet, télévision, tout ce qu'on peut imaginer comme moyen de télécommunication va passer par les fournisseurs d'accès Internet. La bonne nouvelle, c'est qu'on ne sera pas obligé nécessairement de tout acheter du même fournisseur d'accès Internet. On va avoir besoin du tuyau qui va venir d'un fournisseur, et à partir de ça on sera capable de se faire des services à la carte si on veut. Économiquement ils risquent de venir nous chercher par contre, nous offrir des beaux « packages ». Pour les citoyens ça veut dire quoi ? Ça veut dire malheureusement une augmentation significative de la complexité des outils de communication. Ce n'est plus un bon vieux téléphone ordinaire ou la télé, ça devient beaucoup plus complexe à gérer comme technologie, comme environnement. Donc même si le coût des équipements continue à baisser, ça peut être encore un frein. Ce matin on a parlé beaucoup en terme d'accessibilité au niveau des coûts, il y a de bonnes nouvelles aussi de ce côté-là. Il y a Monsieur Negroponte qui travaille sur un projet d'un portable à 100$ américain. Et si le projet fonctionne, et ça a l'air très bien parti, entre autres, le gouvernement chinois entend en acheter parce que si il achète ces portables-là, ça va lui coûter moins cher que de payer le papier et le crayon à tous les étudiants comme il est obligé de le faire actuellement. Et si il le vend là, ils vont effectivement avoir atteint une économie d'échelle qui va nous permettre d'avoir enfin des portables, bas niveau on s'entend, mais à 100$ américain.

Pour les citoyens, l'augmentation du nombre de fournisseurs va rendre difficile de choisir. Les sources d'information aussi, à qui on va se fier ? Considération de sécurité, on en a parlé ce matin, ça fait peur aux gens. C'est pas juste mauvais ce qui s'en vient, au contraire, on va être capable d'avoir des mécanismes qui vont nous permettre de signer quelque chose par téléphone, à la limite, de façon blindée et beaucoup plus sécuritaire que ce que l'on fait aujourd'hui de façon manuscrite. Il y a des belles choses, mais pas évidentes à gérer, beaucoup de complexité qui s'en vient. De nouveaux médiums d'information qui émergent, on a parlé des blogues, les revues de presse automatisées, broadcasting, etc... Les gens publient de plus en plus d'information, il y a beaucoup de sources d'informations qui sont disponibles. Graduellement, ce qui est intéressant, c'est qu'on va être capable de se créer nous-mêmes nos propres agrégats d'information. Choisir nos sources et se monter nous-mêmes selon notre feeling éditorial, notre propre quotidien.

Île Sans Fil dans tout ça ? Île Sans Fil devrait faciliter l'omniprésence du réseau haute vitesse forcément, on parlait tantôt d'un rayon de 50km avec une antenne sans fil, ça va commencer à être intéressant c'est sur et certain. Dans certains cas, ça va en démocratiser l'accès, parce qu'on sait qu'il y a beaucoup d'abonnés qui n'ont pas accès à Internet à la maison. Ils ont tout simplement accès à Internet dans les cafés et les endroits publics. Le sans fil communautaire lui, pourrait rendre disponible l'accès au réseau institutionnel et ce à très faible coût. Je m'explique, le sans fil communautaire c'est, chaque citoyen ou groupe de voisins, pourrait être invité à capter et à redistribuer le signal. C'est à dire, on plante une antenne qui coûte environ 200$, et à partir de là on fait le saut d'un voisin à l'autre, d'un quartier ou d'une rue à l'autre, et on est capable d'établir un réseau. C'est ce qu'on commence à faire avec Île Sans Fil, entre autres avec le Centre Saint-Pierre, et on va graduellement monter jusqu'à Communautique comme ça et on va se promener un peu partout dans l'île pour quadriller l'île et avoir un réseau sans fil en marge de l'Internet, mais qui va être complètement indépendant. Chacun des propriétaires d'antenne va être le propriétaire d'une partie du réseau, il n'y a pas de frais récurant à ça. Pas de frais d'abonnement. Une fois que tu as planté ton antenne, tu parles avec tout le monde, c'est tout. Donc on pourrait facilement imaginer un réseau, imaginez juste de relier les écoles comme ça sur l'île de Montréal. Relier les clochers d'église.

En conclusion, ça permettrait la mise en place de portails de proximité. C'est à dire, c'est beau la démocratie mais commençons localement, autour de chez-nous, et graduellement, remontons jusqu'aux plus hauts niveaux décisionnels. Donc une revitalisation des échanges entre les concitoyens, la promotion de valeurs comme l'entraide et la coopération, l'amélioration de la prestation de services essentiels à l'ensemble de la population, et une réelle interaction avec les citoyens. Recommençons donc à parler à nos voisins, c'est aussi simple que ça. Et finalement ce que je conclue c'est une démocratie en santé et une organisation sociale qui favorise et qui facilite l'implication citoyenne, et je pense que le sans fil peut être un des acteurs.

Communautique
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