La démocratie en ligne et les enjeux pour la population

Présentée par Manuel Cisneros

Heure : 9h50

Description de la conférence

Cette présentation aborde le bilan de nos démarches concernant le gouvernement en ligne et dresse une synthèse de nos réflexions sur ce thème. Nous présentons également nos premières réflexions sur la démocratie en ligne qui émergent dans les travaux du Comité d'étude sur la démocratie en ligne qui a été créé par Communautique suite à la journée de réflexion d'octobre 2004.

Nos préoccupations principales entourant la mise en place du gouvernement en ligne et de la démocratie en ligne sont les problèmes de la population pour accéder à ces services et les utiliser de façon effective, le danger du renforcement des inégalités sociales si ces changements ne considèrent pas la situation des familles défavorisées et finalement la réduction de toutes les possibilités de l'usage des technologies à un usage individuel, dans lequel on isole le citoyen face aux pouvoirs publics et on réduit leur pouvoir plutôt que de le renforcer. Pour ces raisons, nous prônons la construction collective et démocratique d'un gouvernement et d'une démocratie en ligne dans lesquels les citoyens en lien entre eux, en étroit lien avec ceux qui sont les plus défavorisés, organisés en groupes et en associations travaillent à développer un futur différent sans exclusion.

Cette présentation se termine par un appel aux citoyennes et aux citoyens et aux groupes de la société civile à réactiver le débat sur le rôle des groupes organisés des citoyens dans le renouvellement de la démocratie avec l'usage de nouveaux outils d'expression et de participation.

Présentation complète

Introduction

Dans cette communication, je vais en premier lieu, faire un bilan de nos démarches concernant le gouvernement en ligne. En deuxième lieu, je vais présenter nos premières réflexions sur la démocratie en ligne qui émergent dans les travaux du Comité d'étude sur la démocratie en ligne qui a été créé par Communautique suite à notre journée de réflexion d'octobre 2004. Je vais présenter particulièrement trois grands thèmes qui nous préoccupent, et certaines propositions reliées à ces thèmes.

Le Bilan de nos démarches par rapport au gouvernement en ligne

Deux rencontres ont marqué nos démarches concernant le gouvernement en ligne. La première est le débat sur ce thème en assemblée générale de Communautique et la deuxième est la journée de travail le 14 octobre dernier.

Les résultats de notre assemblée générale se sont surtout reflétés dans le rapport de M. Gautrin sur le gouvernement en ligne1 dans lequel on reconnaît le rôle des groupes communautaires pour la formation de la population et l'accès aux technologies.

Ce rapport inclut aussi des questions concernant les personnes handicapées et les logiciels libres qui avaient été soulevées dans cette assemblée.

Dans cette assemblée générale, nous avons aussi adopté des propositions pour que les organismes communautaires soient reconnus comme des acteurs dans la construction du gouvernement en ligne et nous avons affirmé l'importance de faire participer les organisations de la société civile à la conception des consultations en ligne.

Ces propositions ont aussi été considérées en partie, lorsque dans le rapport on propose de donner à un organisme indépendant du gouvernement la responsabilité d'organiser les consultations en ligne.

Les résultats de la journée du 14 octobre se sont traduits en rencontres avec les représentants du gouvernement pour traiter par exemple de l'adaptation des services offerts en ligne pour les personnes peu scolarisées et l'accessibilité pour les personnes handicapées.

Nous faisons référence à tout cela car nos réflexions sont suivies d'actions pour faire avancer ce dossier de façon collective. Nous espérons donc que ce lien réflexion - action se poursuive après cette journée de travail d'aujourd'hui.

Avant de passer à préciser quelques-unes de nos réflexions actuelles sur le gouvernement en ligne et la démocratie en ligne, j'aimerais rappeler trois grands constats que nous avons tirés de notre rencontre du 14 octobre.

Le premier est celui de considérer le contexte actuel dans lequel le gouvernement cherche à mettre en place le gouvernement en ligne et la démocratie en ligne :

    Soit :
  • L'existence persistante de la fracture numérique;
  • Les difficultés des organismes communautaires et des organismes de la société civile à travailler dans un contexte de coupure de nombreux programmes;
  • Mais au milieu de ces difficultés, nous avons aussi constaté la capacité de l'État à avoir fait une distribution massive de machines pour la Lotto qui symbolise la possibilité de faire des choix différents.

Le deuxième constat était de regarder les conditions d'implantation des nouvelles technologies et des nouvelles applications.

Nos invités ont attiré notre attention sur le danger que tout le processus de développement des usages des nouvelles technologies soit contrôlé par le secteur privé ou par une vision marchande et qu'on donne peu de place aux possibilités d'offrir aux citoyens des services publics et accessibles, en appuyant par exemple un accès plus grand et plus autonome des citoyens aux technologies et à l'utilisation de logiciels libres.

Un troisième constat a été la nature du projet du gouvernement en ligne que l'on considérait beaucoup porté par une vision descendante, c'est-à-dire du gouvernement vers les citoyens et non pas par une vision ascendante du citoyen vers le gouvernement ou d'une vision en cercle.

Il a été également soulevé la question de l'importance du rôle des groupes de la société dans le développement de la citoyenneté et la nécessité d'établir des liens entre la démocratie en ligne et la démocratie actuelle.

Dans nos réflexions actuelles

Il y a trois thèmes qui nous préoccupent dans le travail pour la mise en place du gouvernement en ligne et de la démocratie en ligne : l'accès et la formation que ce projet demande.

La possibilité d'un renforcement des inégalités sociales et de la démocratie telle qu'elle est. Le rôle des groupes dans la construction d'une société démocratique.

Premier thème : L'accès et la formation que ce projet demande

Il y a encore près de la moitié des québécoises et des québécois qui n'ont pas d'accès aux nouvelles technologies, surtout à Internet.

Nous nous posons la question : Comment le gouvernement en ligne et la démocratie en ligne pourront-ils fonctionner dans cette condition? Les problèmes d'accès sont de différents ordres :

  • Accès physique et économique aux machines, surtout pour faire face aux barrières due aux coûts des équipements, de la connexion, du soutien technique et de la formation adaptée,
  • Accès adapté pour les personnes handicapées,
  • Accès à des technologies et aux contenus qui demandent la connaissance de lecture et de l'écriture et des niveaux de formation importants pour traiter l'information;

Ces problèmes sont importants lorsque l'on considère qu'un million et demi de québécoises et de québécoise n'ont pas fini leurs études secondaires, lorsqu'un million de québécois ont des difficultés importantes de lecture2, lorsqu'un million de québécois ont des handicaps3, lorsque 11,9 % des québécois vivent dans la pauvreté et finalement lorsqu'une partie grandissante de la population vieillit et donc aura besoin de services qui soient aussi adaptés.

Ces problèmes ne sont pas nouveaux, mais ils sont toujours là. On ne peut pas les laisser de côté, ils exigent des stratégies globales.

Sinon nous n'allons bien servir que les citoyens les plus fortunés et les plus instruits.

Nous allons pousser les personnes à utiliser les technologies, sans prendre en considération les obstacles auxquels elles sont confrontées.

Nous insistons sur le fait que le problème d'accessibilité a plusieurs angles.

Avec des politiques plus proactives d'accessibilité aux technologies, avec de technologies plus accessibles, il est possible que d'ici quelques années l'accès puisse être réglé, mais il restera toujours la difficulté de l'usage de cette technologie.

Dans la mesure qu'elle nous permet l'accès à l'information et à l'interactivité, elle nous demande aussi des ressources cognitives, des opérations intellectuelles, qui n'étaient pas exigés par les technologies antérieures.

De là l'importance de la formation, de l'éducation que nous exige cette société du savoir, de là l'importance de connaître les compétences qui nous seront demandées par le gouvernement et la démocratie en ligne et de travailler pour les développer.

Un exemple de la formation nécessaire est exprimé par la Ville de Gatineau qui dans son Cadre de référence en matière de participation des citoyens aux affaires municipales propose : « L'Apprentissage des citoyens à leur rôle civique nécessitera, outre le guide de participation, un travail de communication et de sensibilisation à long terme avec l'appui des partenaires et organisations socio-communautaires »4.

Nous avons fait la proposition de considérer l'accès aux technologies comme un droit et nous prônons dans la Plateforme québécoise de l'Internet citoyen certaines solutions pour l'accès.

Nous insistons sur ces propositions et sur le droit à une formation qui nous permette de faire un usage complet des technologies.

Nous insistons également sur la lutte à la pauvreté qui fait partie sans nul doute de ce combat à la fracture numérique.

Deuxième thème : Le renforcement des inégalités sociales et de la démocratie telle qu'elle est

Le défi est de moderniser sans exclure comme disait Bertrand Schwartz, spécialiste des questions de formation professionnelle continue et intéressé à la lutte contre l'exclusion sociale5.

Pour cela, il faudra bonifier nos politiques sociales pour que les innovations techniques puissent vraiment bénéficier au plus grand nombre de personnes.

Comment construire un gouvernement en ligne et une démocratie en ligne qui ne renforcent pas les inégalités sociales?

En principe, nous ne devons pas les construire sur la base des inégalités sociales, nous devons les construire sur la base d'un travail pour éliminer ces inégalités.

S'il y a un thème sur lequel nous pourrions demander l'exercice de l'intelligence collective par l'intermédiaire des nouvelles technologies c'est celui de pouvoir trouver de nouvelles solutions à ce problème.

Dans le cas de la démocratie, le défi est de faire de notre démocratie actuelle, une démocratie plus participative, plus inclusive. La non participation d'un secteur de citoyens aux élections, l'éloignement et la méfiance de la politique, ne se régleront pas parce que nous allons pouvoir voter en ligne.

Il est difficile de dire que parce que nous allons passer à la démocratie en ligne, que la confiance vers la politique va se rétablir.

Les citoyens ont besoin, entre autres, de savoir que leur volonté sera respectée, que leur participation à la vie démocratique a un sens et qu'elle ne deviendra pas un exercice inutile.

Ils ont besoin de savoir sur quel type de décisions ils vont travailler, quel est le lien entre leur participation aux consultations en ligne et l'activité de l'assemblée nationale et l'activité des élus, de quelle façon l'usage des technologies surtout de façon collective pourrait permettre une appropriation collective de l'information concernant les différents problèmes sociaux et économiques au niveau local, régional, national et international et la recherche de solutions à ces problèmes.

En conclusion, les citoyens ont besoin de vivre une nouvelle démocratie, quelque chose de différent et de supérieur de ce qui est la démocratie actuelle.

Troisième thème : Le rôle des groupes dans la construction d'une société démocratique

Nous ne pouvons pas confondre la démocratie en ligne avec le fait de voter électroniquement de la maison pour répondre aux consultations du gouvernement.

La démocratie est plus que le geste de voter, la démocratie est une recherche de consensus, la démocratie est un travail pour passer d'un point de vue personnel à un point de vue qui soit d'intérêt général, qui soit partagé.

Cela se fait par des échanges, par des débats, par des rencontres en famille, en groupe, dans les quartiers, dans les centres de travail, dans les organisations politiques.

La voix citoyenne n'est pas la somme de voix individuelles. Les voix individuelles peuvent aller dans mille sens différents.

C'est le débat organisé, la participation à des groupes qui nous permet de faire le saut et de comprendre ce qui pourrait être l'intérêt général.

La démocratie en ligne doit être comprise avant tout comme une démarche des citoyens organisés autour d'un espace public qui favorise leur participation, leur créativité, leurs échanges et la recherche de consensus ou de points de convergence plutôt que de le concevoir comme une démarche isolée entre l'État et le citoyen.

Donc, le travail pour la démocratie en ligne doit être un travail pour favoriser les échanges, pour favoriser le travail collectif et délibératif comme condition essentielle et en amont du passage à la prise de décisions.

La démocratie en ligne est quelque chose de plus large.

Le projet d'un gouvernement en ligne et d'une démocratie en ligne ne doit pas se contenter de se présenter comme un projet centré sur la personne ou sur le citoyen.

Il doit les inclure dans la démarche comme sujets et acteurs et pas seulement en tant qu'individus mais en tant que collectivités au niveau familial, de groupe de quartier, au niveau des associations auxquels ils participent.

Limiter tout à une consultation directe des citoyens pourrait appauvrir la démocratie dans la mesure ou on laisse de côté le travail délibératif qui est essentiel pour que le citoyen puisse faire un bon choix.

Nos propositions

Nous avons devant nous le défi de construire démocratiquement le gouvernement et la démocratie en ligne en fonction de trois grands chantiers :

  • Celui de résoudre les problèmes de l'accès et de l'éducation.
  • Celui de bâtir des ponts entre ceux qui sont branchés et ceux qui ne le sont pas et de contrer le renforcement des inégalités sociales et de la démocratie actuelle telle qu'elle est.
  • Celui d'appuyer l'action collective des citoyennes et des citoyens pour développer le débat public et l'émergence de nouvelles formes de participation à la vie politique et démocratique.

Concernant le premier chantier, de nouveaux efforts devraient être faits pour contrer la fracture numérique et les différents problèmes d'accessibilité. Ce qui devrait aussi être accompagné de programmes d'éducation large de la population aux enjeux de la société du savoir.

Concernant le deuxième chantier, il nous faut développer une culture et des pratiques de partage, de collaboration, de lutte à la pauvreté, de promotion de politiques sociales et de redistribution plus équitable de la richesse. Il faut que la partie de la société qui a accès aux nouvelles technologies et aux différents services et qui peut participer activement sur Internet puisse mettre ses connaissances au service de solutions aux problèmes sociaux, puisse partager leurs connaissances, leurs expertises, leurs compétences pour se solidariser avec le reste de la société.

Le gouvernement ne devrait pas réduire les services offerts aux personnes dans les points de services et par d'autres moyens différents de ceux offerts par les nouvelles technologies. Pour la démocratie, il faudrait travailler à renouveler la démocratie actuelle avec l'aide des usages citoyens des nouvelles technologies. Il faudrait que les groupes communautaires puissent :

  • Transférer leurs valeurs et pratiques démocratiques à l'usage citoyen des TIC pour, entre autres, trouver une définition de ce qu'est la démocratie en ligne et les pratiques qui pourraient la caractériser;
  • Prendre la parole et participer à établir les thèmes sur lesquels il faudrait développer les débats, promouvoir la création de lieux de débats, d'échanges, de création collective de solutions, de partage et de collaboration.

Concernant le troisième chantier, celui d'appuyer l'action collective des citoyens pour développer le débat public et l'émergence de nouvelles formes de participation à la vie politique et démocratique, les groupes de la société civile, avec l'appui du gouvernement, devraient pouvoir participer à :

  • La définition des actions pour mettre en place un espace public actif, multiple, pluriel, qui encourage la participation des citoyennes et des citoyens au travail collectif;
  • La promotion du débat public pour que chaque citoyenne et chaque citoyen puisse avoir accès à l'information, mais surtout pour qu'il puisse interagir avec d'autres citoyens afin de définir ce qui est de l'intérêt général;
  • La conception de ce que devrait être le gouvernement et la démocratie en ligne;
  • La formulation d'une proposition de problèmes sociaux urgents sur lesquels le gouvernement et la démocratie en ligne devraient agir;
  • La création de groupes d'étude et de réflexion comme le Comité d'étude sur la démocratie en ligne de Communautique, qui devraient contribuer à la réflexion et à la participation au débat public des groupes communautaires et des citoyens engagés dans le renouvellement de la démocratie;
  • L'outillage des citoyens pour tout ce qui concerne l'accès, l'interprétation, l'utilisation et la protection des renseignements personnels;
  • L'établissement de moyens pour garantir la prise en compte de la parole des citoyens organisés dans le processus de débat et de prise de décisions.
Un appel aux groupes communautaires et aux organisations de la société civile

Le contexte actuel n'est pas facile pour les groupes communautaires; coupures dans les programmes, propositions de modification du droit associatif (qui ne favoriseront pas le développement des organisations communautaires) etc. Le rôle des groupes communautaires dans la mise en place du gouvernement en ligne et de la démocratie en ligne est encore à définir.

Nous proposons aux organismes communautaires d'intégrer cette réflexion dans la relance de leurs activités ainsi que dans la lutte pour faire reconnaître leur rôle et leur contribution dans la société.

Les groupes communautaires ont un rôle à jouer dans le renouvellement de la démocratie, dans l'activation d'un espace public riche et générateur d'alternatives et de solutions aux problèmes sociaux.

Ils ont aussi un rôle à jouer pour aider à construire une voix collective, pour organiser la réflexion, le débat et la participation citoyenne. La démocratie en ligne demandera aux citoyennes et aux citoyens des responsabilités, mais elle devra aussi offrir des droits que les groupes communautaires pourront contribuer à défendre, à protéger.

Pour une citoyenneté active, pour un cybercitoyen ou pour le citoyen en ligne, nous avons un travail complémentaire à faire à celui que nous faisons déjà pour la citoyenneté active de chaque Québécoise et de chaque Québécois.

1 Rapport sur le gouvernement en ligne

2 Voir Les situations de vie des adultes visés par la formation générale commune, Direction de la formation générale des adultes, MÉQ, Québec, 2003, page 5.

3 Voir l'Avis du CAMO pour personnes handicapées sur le gouvernement en ligne, présenté à Monsieur Henri-François Gautrin, député de Verdun, adjoint parlementaire au premier ministre et responsable du dossier du gouvernement en ligne, mars 2004.

4 Ville de Gatineau. Cadre de référence en matière de participation des citoyens aux affaires municipales. Recommandations formulées par la Commission de choix stratégiques. Décembre 2004. (Page consultée le 24 avril 2005)

5 Voir Bertrand Schwartz, Moderniser sans exclure, La Découverte, Paris, 1994.

Communautique
XHTML 1.0 Strict Valide